LA MÉMOIRE DU MARBRE

Interview de Damien Pasquier Desvignes par Michel Micheau


10. La Résurrection, 1994, marbre noir de Volos, 65×50 cm

Pourquoi des sculptures plates en marbre noir ?

Le travail du marbre noir dans mon parcours est une histoire amusante qui a commencée par la récupération sur le trottoir, près de l'atelier que j'occupais alors à Montreuil, de restes abandonnés d'une cheminée démontée; mis de côté en me disant: « ça servira », l'idée a peu à peu germé d'entailler ces surfaces pour y reproduire des figures, sous l'influence et dans la mémoire des très belles gravures sahariennes d'il y a sept mille ans (plateau de Dider au nord de Djanet en Algérie).

Quelles questions de sculpteur as-tu voulu aborder avec ces tranches de marbre

Il m’a fallu pousser mes recherches graphiques, trouver un marbre noir permettant de traduire mes idées et le préparer spécialement, c'est à dire obtenir par le poli une surface suffisamment noire tout en conservant la matière. Et bien sûr, il m’a fallu trouver par l'entaille une autre dimension, adapter des outils pour ce travail et enfin passer à la réalisation.

Comment choisis-tu les matériaux ? 

Le choix d'un matériau n'est pas neutre pour moi. Il importe à l'extrême lors de l'appréhension d'un sujet. Aussi tantôt la rencontre d'un matériau, d'un marbre particulier (Rosso Laguna pour la série des « Cris » ou Bardiglio pour les Cariatides) fait remonter à la surface des idées en sommeil et s'impose, tantôt c'est l'idée qui conduira au choix , marbre ou bronze (par exemple le bronze pour les Insectes ou « La Pensée »); enfin les deux peuvent se conjuguer comme ici pour le marbre noir de Volos.

Le marbre qui nous a été donné, préparé par la création depuis des millions d'années, la lumière d'un bronze portent pour moi une dimension contemplative que je voudrais toujours présente dans mon travail – expression d'une action de grâce

Combien de temps cela prend-il de faire de telles œuvres ? Où travailles-tu ?

Le temps passé ? Aucune idée. Cela importe si peu! « Le temps ici n'est pas une mesure. Un an ne compte pas, dix ans ne sont rien. Etre artiste, c'est ne pas compter, ... ». (Rainer Maria Rilke). Peut-être étaient elles en préparation depuis mon baptême, le jour où j'ai reçu l'Esprit saint! Les lieux : plusieurs mois en Italie, où je choisis mes marbres et les dégrossis.


En quoi ces œuvres qui sont à l’interface du dessin et de la sculpture, de l’abstraction et du symbolique, de l’archaïque du signe à l’expression la plus contemporaine, s’inscrivent-elles dans l’ensemble de ton œuvre sculptée ?

Dans mon travail se trouve toujours la recherche du dépouillement, de l'ellipse, de la simplification, tant dans la ligne, comme pour certaines sculptures non représentées ici où la ligne suggère le volume, tant dans le volume lui-même; et à cet égard l'étude des insectes depuis le commencement de mon activité est significatif.

Il en résulte une certaine monumentalité présente dans mes sculptures, c'est à dire que toutes, ou presque, pourraient être agrandies sans aucun problème; elles possèdent en elles-même cette force qui me dépasse. « Terminées », ou plutôt mon travail terminé, elles ne m'appartiennent plus, restant totalement ouvertes au spectateur.

Tu as de nombreuses photos de paysages africains chez toi. Quel est le lien avec ton inspiration ?

Les photos de paysages que tu as pu voir chez moi sont des photos du Sahara, un extraordinaire jardin de sculptures; et peut-être ceci explique aussi cela. Et, toute proche, la sculpture africaine tient une place significative dans ma vie.

De quelles natures sont tes liens avec le public, tes clients, éventuellement tes commanditaires ? Tu exposes en galerie. Explique-nous les liens ou obligations que cela induit.

Il est nécessaire, à un moment, de se tourner vers l'extérieur. Le commanditaire est un spécimen rare, mais une chance, car souvent l'occasion d'aborder un sujet que l'on n'aurait peut-être pas approché. L'essentiel est de garder sa liberté d'expression tout en assumant une collaboration constructive. Avec le public, les galeries, mes relations sont simples car je me suis toujours considéré comme libre dans le choix et le traitement des sujets, dans la recherche, comme devant rester moi-même. Quelle chance inouïe! Mais n'est-ce pas justement la position du passeur dont nous parlions précédemment? Ne pas être « célèbre » permet ce luxe immense!

 

Michel Micheau

Interview à retrouver su le site de Voir et dire : ici



12. Conquête et Domination, 1995, marbre noir de Volos, 25x32cm


 «  Damien Pasquier-Desvignes est un sculpteur qui maîtrise aussi bien le bronze, le métal, que le marbre.
Il ne cache pas ses sources d’inspiration : les textes bibliques, la condition humaine notamment et plus profondément l’Afrique et ses déserts.
Parmi bien des œuvres qu’il aurait pu présenter, il en a choisi deux qui s’inscrivent dans le temps spécifique de Pâques, rassemblées ici sous le titre Passage.

Deux plaques de marbre noir de Volos (Grèce) entaillées, des lignes épurées, relevant du dessin à main levée, immédiat et définitif à la fois. Des traits blancs révélés au cœur même d’une matière plane, noire et mate. Des signes qui surgissent, se lèvent et se lisent en mouvement, en visage, en personnage, en symboles …
Une lumière rasante pour révéler le passage précis du sculpteur.

Des œuvres minimalistes qui par leur pluralité de lecture possible, du motif rupestre à l’approche la plus contemporaine du design, donne toute la place à la vie, à la joie d’une nouvelle incroyable.

Des œuvres qui ouvrent. »

Michel Micheau